Trois enjeux pour une recherche collaborative


 

 

 

 

La recherche collaborative vise à créer un corpus de connaissances viables pour les acteurs. Comment? Inspirée des travaux de DeBlois et Sterenberg (2010) en didactique des mathématiques, trois des enjeux de cette méthodologie émergeante seront discutés : les rôles des acteurs, leur influence sur la question de recherche et le travail public des partenaires.

Le travail de chercheur nécessite (en réponse aux organismes subventionnaires) de préciser les intentions et l’objet de recherche avant de rencontrer les enseignants. Ce travail conduit à formuler des questions émergeant de cadres théoriques. Les enseignants répondent à des besoins non seulement variés mais changeants, ce qui suscite une variété de préoccupations. La recherche collaborative, créera une alternance entre les préoccupations et les expertises du chercheur et des enseignants, pour générer une intersection à partir de laquelle peut se développer une cosituation, parfois dans le contexte d’une transformation scolaire (DeBlois, 2009b). Afin d’éviter de sortir de cette intersection et de juxtaposer les questions qui émergent (DeBlois et Squalli, 2001, 2003), une redéfinition régulière de la cosituation est toutefois nécessaire. Cette redéfinition concourt à préciser «pourquoi et comment» seront mis en scène les thèmes retenus précisant, par cette action, le rôle des acteurs (DeBlois, 2009b).

Ainsi, la nécessaire transformation des questions pourrait expliquer que des questions comme «Comment intervenir en classe?» cohabitent d’abord avec «Comment se transforment les pratiques des enseignants?». Ne seront retenues que les questions qui permettent de situer un problème dans des préoccupations à la fois éducatives, didactiques et théoriques qui laissent une place à la mouvance des postures épistémologiques motivant les rôles adoptés. La mise en place de laboratoires du changement (Virkkunen & Newnham, 2013) semble favoriser une redéfinition de la cosituation par la reformulation des interprétations du chercheur. Toutefois, cette réinterprétation ne conduit pas nécessairement à demeurer dans l’intersection enseignants-chercheur (Lavallée et DeBlois, 2015). Il est donc possible que la question de recherche ne se cristallise qu’à la fin du processus.

La mouvance des postures épistémologiques, provoquée notamment par la transformation des connaissances des partenaires, est d’autant plus exigeante qu’elle se développe publiquement. En effet, lors de l’élaboration de la question de recherche, mais aussi durant les analyses avec les enseignants, le travail de réflexion demeure public. Bien que les savoirs familiers ne suffisent plus, les concepts de vérité/réalité, subjectivité/objectivité et connaissances mathématiques/connaissances en sciences humaines (DeBlois et Sterenberg, 2010) ajoutent à la complexité du développement de la recherche collaborative qu’il sera possible de dénouer par la redéfinition de la cosituation. L’expérimentation de différents niveaux d’analyse, d’abord près d’une description de l’ordre d’apparition des événements et de leur contenu, suivie de la construction d’un cadre de référence puis de modèles explicatifs, conduit les enseignants à reconnaître comment leurs élèves diminuent le nombre de comportements inappropriés lorsqu’ils ont le sentiment de vivre une expérience commune avec eux (DeBlois, 2009a), à l’émergence de nouvelles interprétations à l’égard des erreurs de leurs élèves (DeBlois, 2006) ou à partager les exigences de la transformations de certaines pratiques enseignantes (Lavallée et DeBlois, 2015). Ce travail public, conjugué à la réalisation de différents niveaux d’analyse, pourrait démystifier la recherche pour relever le défi de la double vraisemblance.

Une méthode de recherche collaborative exige ainsi de considérer la mouvance des postures épistémologiques des partenaires puisqu’elle influence les rôles adoptés, les questions formulées et les retombées de ce processus.

 

Lucie DeBlois

 

Références